Cours [Bacardi & Jupiter]

Serge avait récemment demandé à une de ses élèves de remettre au travail un étalon fraîchement arrivé. Une petite perle en CSO. Pour ce faire, il lui avait fixé un cours au manège en cette après-midi à 14 heures. Il avait opté pour le manège afin de faciliter la concentration de Bacardi. Ainsi, sans doutes, serait-il moins dérangé par l'animation alentour.

Vêtu d'un pull en laine et d'une bonne doudoune, Serge enfila ses gants et son bonnet avant de remonter son écharpe sur son nez. Il était paré pour affronter le froid hivernal durant une bonne heure. Habituellement il se rendait à ses cours avec un retard qu'il prévenait toujours. En fait, il voulait arriver quand le couple s'était déjà mis ensemble et avait déjà un peu détendu. Mais aujourd'hui, il voulait être là dès le début pour mettre en route le couple. Il avait prévu un travail de dressage et de barres au sol. Il ne comptait pas faire sauter directement le cheval.

Quand il entra dans le manège, Jupiter était déjà là. Il consulta une des deux horloge qui était accroché au mur. 14h02. Serge était à l'heure. Il salua la jeune fille et referma la porte du manège silencieusement. Il alla ensuite de poster au milieu de l'édifice. Les mains dans les poches pour se réchauffer, il commença à expliquer ce qu'il avait prévu.

« Bon, alors... Tu vas me le marcher au pas pendant un petit moment en variant tes trajectoires. Essaye d'éviter au maximum la ligne droite et la piste. Je veux que tu le rendes attentif à toi. Enchaîne les cercles larges en lui demandant l'incurvation autour de ta jambe intérieur. Change régulièrement de main. Pour le début de travail, évite de trop toucher à sa bouche pour la mise sur la main. Préfère une attitude étendue et une bonne impulsion, quitte a avoir des rênes légèrement plus longue pour le début. »

Serge savait faire porter sa voix et même s'il avait un côté un peu impressionnant par sa façon de parler, il était toujours souriant et disponible pour répondre aux moindres questions.

« Pour la séance j'ai prévu de travailler le dressage de base. Incurvations, déplacements de hanches, etc... pour voir comment il réagit. Ainsi que le passage de quelques barres au sol. Ça te va ? »

Le directeur laissait toujours le choix à ses élèves. Parfois certains voyaient mieux tel exercice que tel autre en fonction de comment ils sentaient le cheval.

• Jupiter était debout de bon matin, ce jour-là. Serge lui avait demandé de remettre en route un entier qui venait d'arriver au Haras, et elle tenait à finir toutes ses tâches routinières avant ce cours. Elle avait hâte d'y être ; monter avec Serge Cruzot en instructeur, c'était en effet une belle chance, elle y apprendrait sûrement beaucoup ! Elle se demandait bien comment serait Bacardi ; un fort caractère, sans doute. Elle ne connaissait de lui que sa bataille avec As de Coeur, dans les prés du HDC, il y avait maintenant quelques jours de cela. Mais la jeune femme n'appréhendait pas vraiment, au contraire, elle attendait ce moment avec impatience. Après avoir bouclé toutes ses occupations de routine dès le matin, elle descendit aux écuries et alla voir Ravageur. Il lui donna quelque peu de fil à retordre lorsqu'elle lui passa la longe, mais se laissa conduire sans trop de mal au pré, où elle le lâcha en lui donnant une petite tape sur l'encolure. Elle ne l'avait pas encore vraiment travaillé, mais elle lui donnait le temps de se familiariser avec le Haras, de connaître le lieu et d'apprendre à connaître sa cavalière. Elle s'accouda à la barrière et l'observa galoper à toute allure dans le pré - sans risque, l'herbe était fraîche, mais pas gelée - et lancer quelques ruades. Elle sourit : quel cheval, mais quel cheval ! Ses muscles saillaient sous sa peau fine, et il galopait avec puissance. Tout en lui était remarquable. Quel cheval !

• Jupiter rentra dans l'écurie et se dirigea vers la stalle de Bacardi : il était environ 13H, mais elle aimait être en avance. Cela lui permettrait de se familiariser un peu avec l'entier. Elle s'approcha de lui et lui passa la main sur l'encolure en lui parlant. Elle lui expliqua qui elle était et le programme de la journée, tout en le pansant. Il ne comprenait certes rien à ce qu'elle racontait, mais son ton était rassurant, et il s'habituait ainsi un peu à elle. Elle passa ses mains sur les tendons du cheval, admirant sa musculature puissante, son port de tête altier. Il était bâti tout en puissance : un magnifique cheval, qui avait tout de polyvalent. Chantonnant doucement, elle le sella et le brida avec douceur, puis sortit de l'écurie en le menant par les rênes, sans cesser de lui parler. Elle pénétra dans le manège, ou Serge lui avait donné rendez-vous, et regarda la pendule : 13H56. Elle était dans les temps. Elle prit un moment pour faire marcher Bacardi en main, puis se hissa souplement sur son dos, régla ses étriers et pressa les mollets pour demander au cheval de se mettre en route.

• Au même moment, Serge entra dans le manège, la saluant. La jeune femme lui rendit son salut écouta attentivement ses directives, puis hocha la tête avec un sourire pour signifier qu'elle était d'accord. Reportant son attention sur l'entier, elle ajusta légèrement ses rênes et raffermit le contact de ses mollets pour le pousser à aller de l'avant.

Cela faisait quelques jours que Bacardi ruminait dans son box sa défaite face au jeune Holstein. Il avait du mal à l'avaler, mais c'était ainsi. Il avait perdu, et tant pis. Il n'avait gardé de cette mémorable bataille que quelques égratignures sans gravité, mais encore assez visibles. Il avait aussi une entaille plus profonde à l'épaule, mais elle était correctement soignée et se refermait proprement.

En fait, de cette bataille fabuleuse, le bai avait surtout gardé une réputation de sale caractère. Aussi ne cacha-t-il pas sa joie lorsqu'il vit son box s'ouvrir, accueillant la nouvelle arrivante d'un ronflement. Faisant tous les efforts du monde pour se montrer calme et gentil, il se laissa attacher devant le box, et l'écouta plus ou attentivement tandis qu'elle le pansait. Il se souvenait d'elle, elle était au pré lors de la rixe, et pourtant elle revenait s'occuper de lui ?

Mieux, elle venait le monter ! Bacardi redressa la tête et ses yeux s'éclairèrent lorsqu'il la vit arriver avec une selle et un bridon dans les bras. Enfin ! Le travail reprenait ! Il n'avait plus été monté depuis... eh bien depuis sa chute lors du concours de saut. Deux ans ? Trois ans ? Une infinité, c'était certain. Lorsqu'elle l'eut harnaché, il s'étira un peu, retrouvant avec délice la sensation, pourtant pas forcément agréable, d'une selle sur son dos. Il la suivit jusqu'au manège, où ils marchèrent un moment.

Pour être honnête, le Hollandais était un peu déconcerté : il avait toujours eu l'habitude que ce soit sa groom qui le prépare, puis son cavalier montait aux écuries, et l'échauffait dès son entrée en piste. Mais cette technique-ci n'était pas plus mal : c'était agréable de se marcher un peu, de s'habituer à nouveau à la sensation du tissu contre son dos, du mors dans sa bouche.

Il mâchouilla le morceau de métal tandis que Jupiter se mettait en selle. Ouch ! Il avait perdu l'habitude du poids d'un cavalier sur son dos. Ces sensations étaient à la fois nouvelles et connues. Il se mit lentement au pas, se rendant compte dès quelques foulées combien les mois de repos l'avaient raidis. Malgré son manque de motivation pour le dressage et le travail sur le plat, il avait toujours été un cheval souple et musclé. Là, il sentait que tout en lui était raide. Il avait perdu des muscles : le poids de la cavalière, pourtant plus légère que son ancien cavalier, pesait plus lourd sur son dos. Mais il se mit en marche.

Habituellement, il aurait été complètement démotivé, lymphatique. Là, il était content de reprendre le travail, alors il décida de faire un effort. Néanmoins, il était assez mou, découragé à l'idée de travailler une heure sans la moindre barre. Il redressa légèrement la tête lorsque la porte du manège s'ouvrit, mais s'ébroua lorsqu'il se rendit compte que ce n'était qu'un autre humain. Tiens, un nouveau ! A sentir comme sa cavalière se raidissait très légèrement, signe d'impatience, il se dit que ce monsieur devait avoir de l'autorité. C'était lui le chef !

Ce dernier parla, puis la cavalière de Bacardi raccourcit légèrement les rênes et l'étalon sentit une légère pression sur ses flancs. La main était légère, il n'avait pas de gêne dans la bouche. Il avança avec un peu plus d'impulsion -bien qu'il fut toujours assez mou- et sentit ses muscles se mettre à chauffer lentement. Malgré cela, il gardait toujours une raideur bien visible pour l'oeil aguerri d'un homme de cheval. Plus d'un an d'arrêt, ça ne pardonne pas...

Tandis que la jeune fille commençait à faire marcher l'étalon, Serge se dirigea vers l’entrepôt de matériel juste à côté du manège. Ce dernier était accessible via une porte dissimulée dans le par-botte. Il fit attention à ne pas faire de bruit pour ne pas déranger la concentration naissante du couple. Une fois à l'intérieur il se saisit d'une barre d'obstacle qu'il achemina dans le manège et qu'il posa à proximité de la piste. Il refit la même procession trois fois afin d'obtenir quatre barres. Quand il eut finit il referma la porte.

Régulièrement il jetait un coup d'oeil à l'évolution de la jeune fille et de Baccardi.

« Tu peux commencer à le trotter aux deux mains sur des rênes plutôt longues. Enchaîne les grands cercles pour l'incurver. Je veux que tu recherches une attitude basse et étendue. On verra pour un enroulement de l'encolure par la suite. Si jamais il a envie d'avancer, laisse le faire. »

Tout en parlant Serge alignait les barres au sol en contant ses pas. Il avait aligné ainsi trois barres à passer au pas. Il alla mettre la suivante un peu plus loin, toute seule. Il préparait les exercices.

« N'hésite pas à enchaîner les transitions, trot, pas, pas, trot. Pas d'arrêt tout de suite. Il faut qu'il répondre rapidement à tes demandes. »

Sa voix était forte afin que la jeune femme ne tende pas l'oreille pour l'entendre.

• Jupiter sentait Bacardi raide sous sa selle. L'année d'arrêt qu'il avait passée, tantôt au box, tantôt au pré, n'avait pas pardonné. Elle avait bien remarqué qu'il avait légèrement soufflé quand elle s'était mise en selle, bien qu'il n'ait pas bronché outre mesure. Elle lui flatta l'encolure, lui glissa un compliment à l'oreille. Il voulait bien faire, cela se voyait, et elle appréciait la volonté de l'étalon, malgré qu'il soit un peu mou, à se remettre au travail. Mieux encore, il avait l'air assez ... content. La jeune femme sourit et regarda droit devant elle : c'était la première fois qu'elle entrait dans ce manège et qu'elle montait Bacardi, il fallait donc se montrait prudent. Elle sentit qu'il relevait la tête à l'arrivée de Serge et se contenta de presser légèrement ses mollets pour capter à nouveau l'attention de l'entier. Jupiter écouta attentivement les instructions de Serge, tout en gardant son attention rivée sur sa monture, et prit note des conseils du moniteur. Elle décida de garder le contact qu'elle avait : touchant légèrement la bouche, elle ne gênait pas Bacardi, mais n'était pas totalement rênes longues. Elle jeta un coup d'oeil à la sangle, qu'elle ressera d'un trou, puis claqua de la langue et serra ses mollets pour mettre Bacardi au trot.

• Elle ne faisait pas vraiment attention à Serge, occupé à sortir des barres de l'entrepôt de matériel situé juste à côté du manège, mais elle sentait que l'entier surveillait les faits et gestes du moniteur. Normal, en fait. Elle lui fit exécuter des grands cercles à tous les coins du manège, pressant régulièrement ses mollets contre les flancs du cheval, se faisant le plus légère possible dans sa selle. Régulièrement, elle lui demandait des changements de main, l'incurvait légèrement à droite, puis à gauche, lui faisait faire des transitions simples, des grands mouvements pour l'échauffer. Elle raffermit légèrement son contact sur les rênes, affirma ses demandes. L'entier était rouillé, mais il voulait bien faire, et cela lui plaisait. Elle souriait, heureuse, enfin dans son élément.

Ce que Bacardi n'avait jamais aimé au travail sur le plat, c'est qu'il avait l'impression de tourner en rond. Et aujourd'hui, sa cavalière semblait plutôt en forme de ce côté-là ! Ils n'arrêtaient pas. Le bai secoua légèrement la tête, marquant son mécontentement, mais sentit aussitôt les jambes de l'humaine contre ses flancs. Cheval sensible, il passa aussitôt à l'allure supérieure. Sa démotivation se voyait dans son trot : lent et un peu mou, on ne savait trop par moments s'il trottait ou s'il marchait vite.

Puis l'autre humain revint avec des barres? YES ! Des barres ! Bacardi changea aussitôt d'attitude : son trot devint plus rapide, très cadencé. Il baissa légèrement la tête, sentant ses muscles chauffer petit à petit. Il avait été très bien travaillé durant des années, et baisser l'encolure était devenu presque naturel pour lui. Il suivit ce que sa cavalière lui disait, tournant sans cesse, s'incurvant de mieux en mieux. L’échauffement portait ses fruits, et la raideur disparaissait pour laisser place à une souplesse que l'étalon retrouvait avec délice. Oh, ce n'était pas encore extraordinaire, mais il était moins rouillé qu'il ne s'y attendait. D'abord un rien désuni, il retrouvait ses allures souples et amples. Bacardi avait toujours eu une foulée assez importante, et il était ravi de voie qu'il ne l'avait pas perdue.

Mais tous ces cercles commençaient à l'agacer. Ils étaient là, à tourner en rond, avec des barres si proches,qui semblaient l'appeler. Bacardi secoua légèrement la tête en soufflant, perturbant l'ajustement des rênes, et accéléra un peu.