Et ça va durer très longtemps, et tu sais pourquoi je l’sais ? • ETS

histoire;

L'infirmière tendait l'enfant vers sa mère, accompagné d'un sourire très professionnel, ' très comme il faut ' pourrait dire Alice Gilbert Stewart. Cette dernière prit le petit être entre ses doigts, d'une finesse incomparable. Le serrant contre elle, la jeune femme contempla avec un sourire épanouie, la naissante fragilité, pour le moment endormie. La jeune mère leva ses beaux yeux algues, se perdant ainsi dans le regard plus sombre de son mari. Clark Stewart était un homme attentif, un mari aimant, un père comblé. D'un sourire plus tranquille mais néanmoins démonstratif de la joie qui l'habitait en cet instant, il posa sa main calleuse de cavalier dans les cheveux de sa femme. Cette dernière lui adressa un petit regard malicieux.

- Tu n'as pas oublié …

- Ha ça non, renchérit-il, je ne risque pas d'oublier. Il n'y a plus qu'a espérer que ce soit un cavalier de CSO !

Alice rit doucement, le poussant légèrement du coude.

- Mauvais joueur ! N'oublies pas que c'est sur les carrés de dressage que nous nous sommes connus !

- Oui, mais souviens-toi que c'est mon charme dévastateur et mon équitation pointilleuse qui t'ont fais craquer !

Les deux jeunes gens se perdirent doucement dans les souvenirs et dans un silence doucereux. Enfin, Clark prit la main de sa femme.

- Evan ?

- Quelle question !

L'émerveillement, les mouvements doux de l'équidé, la bombe qui lui tombait sur les yeux. Et ce sourire accroché à ses lèvres. Ce petit rire et la lueur au creux des prunelles.

- Attends Clark, je vais aller chercher l'appareil photo !

- C'est ça, pour montrer que c'est bien le fils de son père !

Clic ! Et cet instant capturé, que l'on pourra contempler à loisir lorsque la nostalgie nous étreint. Evan, assis sur ce petit animal gris, épanoui, emplie d'un sentiment oublié par le commun des mortels. Etre heureux.



Je n'arrives pas à dormir. J'ai soif. J'ai chaud. Evan s'extirpant doucement de son lit. Les pieds froids sur le parquet de chêne. Cette nativité de l'enfance. Les cris qui résonnent. Et ce satané parquet qui craque ! Evan entendait toujours les échos des mots. Les disputes était très (trop) fréquentes. Se glisser sans bruits dehors. Retrouver la nature, frôler l'herbe humide de ses pieds nus. Pousser la porte de l'écurie.
Evan se dirigea vers une stalle. Un magnifique cheval d'ébène observait l'enfant avec un air de puissance mêlé de bienveillance. Le petit garçon avança sa main vers le velours des naseaux de l'équidé, qui abaissa doucement sa nuque afin de faciliter la tache à l'enfant qui, avec un sourire compta sur ses doigts, jusqu'à à arriver au chiffre de 9. Enfin, posant ses yeux sur l'étalon noir, Evan sourit.

- Joyeux anniversaire Evan, joyeux anniversaire Evan !

Impulsion. On resserre. La foulée arrive. Le cheval s'envole. Evan sentait le froid et la pluie s'insinuer jusqu'au plus profond de sa chair. Se tournant vers son père, l'adolescent de quinze ans attendit son approbation, repassant doucement sa monture au pas d'un geste calme de la main. L'homme s'avança jusqu'à son fils et le contempla d'un air dur.

- Voilà Evan se n'était pas si compliqué ! Ca fait une heure qu'on y est sur ce foutu système !
- Papa, on peut y aller ? Je ne sens plus mes pieds !
- Et c'est bien fait pour toi ! Après tout les problèmes dans lesquels tu te fourres, tu penses vraiment que je vais te laisser tranquille au bout d'une heure d'obstacle médiocre ? L'alcool, la drogue, la violence … Tout y est passé Evan ! Appeler ta mère toute les semaines pour lui raconter tes frasques parce que Madame s'est barrée en France, ce n'est pas mon boulot ! Donc on recommence.

Et cette poussière. Cette douleur au creux des muscles endoloris. Mais cette meme rage de continuer. Atteindre le meilleur niveau ?

- Rien à foutre ! Se que je veux c'est atteindre la perfection !

Evan salua légèrement de la main le jury. Il replaça doucement sa main, saisissant sa rêne, se retrouvant ainsi dans les mouvements si familier. Un geste fin de la jambe. Et cette adrénaline ! Le jeune homme entendait la voix de son père lui murmurant d'y aller de tout donner. Et ce silence dans les gradins du grand prix de New York. Les obstacles qui s'enfilent. Les éclats de sable. Cette ligne d'arrivée, la joie et les ruades de Quartz. Et ce fabuleux sourire accroché au lèvres. Etre premier, etre le meilleur. Toujours.

« Papa,
je sais, après avoir lu tout ça, tu va me détester. Oui, ma décision est prise, je pars en France rejoindre maman. Non, je ne te laisses pas seul pour gérer l'élevage, il y a Mary avec toi. Il ne faut pas que tu m'en veuilles de partir avec précipitation. Mais je vais bientôt avoir 21 ans, je veux changer de vie. Parcourir le monde, connaître de nouvelles perspectives cavalière … Bref, tracer un peu ma route ! Je sais que je t'en ai fait baver et que ça a été dur pour toi mais ne t'en fais pas, se n'est pas un adieu. Je vais passer quelques temps chez maman et ensuite je m'installerais dans un institut dans le sud de la France. J'ai reçu une lettre d'admission là-bas. Vivre avec les chevaux. Tu m'as toujours dit que c'était la chose que tu regrettais le moins dans ta vie. Et bien je vais suivre ton chemin en allant la bas. Ne t'en fais pas pour moi. A l'heure qui l'est je dois etre dans l'avion. Non, je ne t'oublies pas !


E. »