On était la veille du départ de For Ever. La jument attendait patiement toute la journée son cher cavalier.D Le matin, au moment de la distribution des granulés. Le midi, à l'heure où il l'emmenait au pré. Toute l'après-midi, heure où tous les deux s'entrainaient ou jouaient ensembles. Mais il ne vint pas. Seul son groom s'occupa d'elle.
La jument l'appela, sans s'arrêter. Pourquoi il ne venait pas ? For Ever hennit, s'énerva, menaça son groom, sauta la barrière de son pré. Quelqu'un la rattrapa, mais ce n'était pas son cavalier. Son groom la rammena au box. Elle tourna en rond, poussa des petits hennissements inquiets. Ce n'était pas normal. D'habitude, son cavalier venait tous les jours la voir, même si ce n'était qu'une petite heure. Elle refusa de jouer avec son ballon bleu préféré. Elle ignora son compagnon de pré. Son groom lui apporta du sucre, sa friandise préférée. Mais elle refusa d'en manger. Elle ne voulait pas de sucre. Elle voulait son cavalier.
For Ever tapa toute la nuit dans la porte de son box. Mais son cavalier ne vint pas. Elle remarqua tout juste son foin, qui trainait là, dans le coin de son box depuis le début de l'après-midi. Elle baissa la tête, arracha sauvagement une bouchée de foin et regarda de nouveau au loin en hennissant. Elle n'avait mangé que la moitié de ses granulés.
Le jour se leva, et son cavalier n'était toujours pas là. For Ever n'avait toujours rien mangé. Son groom arriva, l'air anxieux. Il parla, d'un ton malheureux. For Ever le regarda avec attention. Si seulement son groom avait l'idée d'appeler son cavalier... Quand For Ever était malade, celui-ci sortait une petite boite noire et parlait dedans. En quelques minutes, son cavalier était là. Alors pourquoi... A ça y est. Cette idée est arrivée au cerveau du groom. Il sortit sa petite boite, parla. Mais son cavalier n'arriva pas. Le groom partit le temps de manger et laissa seule For Ever. Pourquoi son cavalier ne venait pas ?
En début d'après-midi, alors que la jument allait renverser son seau de granulés dans un excès de colère, elle entendit une voix. Cette voix lui disait quelque chose. Intriguée, elle releva la tête, les oreilles pointées en avant. C'était lui ! C'était son cavalier ! Elle poussant un hennissement strident, exprimant ainsi sa joie. Son cavalier accourut, les yeux rouges. Il ouvrit la porte du box et enlaça For Ever. La jument ne bougea pas, mais regarda attentivement son cavalier. Quelque chose brillait sur ses joues, et son expression était différente. Son expression était triste. La jument tourna sa tête et souffla sur la nuque de son cavalier pour le réconforter. Pourquoi était-il triste ? Ils étaient ensemble, pourtant ?!
Une dame arriva, avec un humain crieur dans les bras. Cette dame, For Ever la connaissait. C'était, comme disait son cavalier, "la femme de sa vie". Quand son cavalier parlait d'elle, il disait toujours ça. Mais à chaque fois, il ajoutait : "Toi aussi tu es la femme de ma vie, ne l'oublie surtout pas." Et For Ever n'oubliait pas. Elle ne savait pas ce que ça voulait dire, mais à l'intonation de son cavalier, c'était quelque chose de bien, être la femme de la vie de quelqu'un.
La dame s'approcha et parla. Son cavalier secoua la tête de haut en bas. For Ever l'immita, mais c'était ça façon à elle d'accueillir la jeune fille. Son cavalier lui caressa la tête et déposa un baiser entre ses naseaux, avant de sortir du box. Il s'éloigna, et s'approcha du camion qui était entré dans la cour. La jument redressa ses oreilles. S'il y avait un camion, c'est qu'il y avait un concours. Et les concours, For Ever adorait ça. Son cavalier aussi. Pourtant, le jeune homme semblait toujours malheureux. Et encore plus quand il s'approcha de la jument, son licol bleu marine dans la main.
- " Je suis obligé de faire ça For Ever. Mais tu seras heureuse là-bas. Je viendrais te voir, je te le promets. Mais maintenant, j'ai un enfant. Je ne peux pas réussir à gérer tes entraînements et son éducation.... Tu va me manquer...
Il y avait quelque chose de grâve, là. For Ever le sentait. D'habitude, son cavalier chargeait sa selle dans le camion, avant de la charger elle. Mais là, il ne le fit pas. Il n'avait même pas l'air d'avoir envie qu'elle y monte. Alors elle refusa d'y monter. Quand enfin la jument accepta d'y entrer, elle jeta un regard surpris à son cavalier. A ce moment là, quand ils partaient en concours, il disait toujours "on va la gagner, cette épreuve, d'accord ?". Mais là, il ne dit rien. Juste "Adieu, ma belle...", et des choses brillantes sur le visage. La dame aussi avec ces choses brillantes. Le petit humain aussi. Mais son cavalier et la dame étaient tristes, tandis que le crieur, lui, avait toujours des choses brillantes. La jument hennit vers son cavalier. Il la regarda longuement, puis releva la rampe. Tout devient noir. Et là, For Ever comprit. Elle n'allait plus revoir son cavalier si elle restait là. C'était évident. Mais elle ne voulait pas ça ! La jument se cabra aussi haut que la longe et le plafond le permettaient. Elle tapa contre le mur, appela le cavalier. Elle sentit le camion démarrer. La panique monta en elle. Elle ne devait pas partir, son cavalier ne le voulait pas ! For Ever s'affola. Elle cassa sa longe, poussa un hennissement terrifiant.
Le moteur s'éteind. La lumière entra de nouveau dans le camion. Son cavalier réapparut et la caressa. Il calma For Ever, mais elle savait que son coeur n'y était pas. Il ne fallait pas qu'elle parte, elle le savait. Si elle partait, son cavalier et elle seraient malheureux. Et elle n'était pas d'accord. Son cavalier la fit sortir, puis ils marchèrent un peu. Enfin, il se rapprochèrent du véhicule. Le cavalier et la dame l'encouragèrent de la voix pour qu'elle monte dans le camion. For Ever se laissa convaincre, mais montrait le blanc des yeux. Son cavalier lui donna une dernière caresse, plus convaincante. Tout redevint noir, et For Ever se força à ne pas s'énerver. Pour faire plaisir à son cavalier.
Une heure passa, puis deux. Le camion se rouvrit de nouveau, mais ce n'était pas son cavalier qui était là. C'était un(e) inconnu(e). For Ever plaqua ses oreilles contre sa nuque et redressa vivement la tête, en essayant de se dégager. Normalement, c'était son cavalier qui la sortait du camion. Et personne d'autre. Sauf quand For Ever décidait de sortir seule. Et il n'était pas question que cette habitude change. Elle menaça l'inconnu(e) en tendant ses dents vers lui, sans le mordre. Elle n'a jamais mordu personne. La jument redevint nerveuse. Quelque chose n'allait pas du tout. Et si elle sortait de ce camion avec ce cavalier là, plus rien n'irait. Car ce ne serait plus jamais son cavalier qui s'occuperait d'elle. Des gens disent que les chevaux ont un sixième sens. Ce sens leur permet de deviner les choses. Et là il permettait à For Ever de savoir qu'elle ne reverrait plus son cavalier. Une lueur de désespoir passa dans les yeux de la jument. Elle n'insista plus et accepta de sortir du camion, tête baissée.
Une fois dehors, elle regarda autour d'elle, poussa un petit hennissement. Quelques chevaux répondirent. Mais elle savait que ce n'était pas un concours, et que ce n'était pas son cavalier. Alors la jument examina l'inconnu(e), attentivement, puis attendit un ordre de sa part. Car faire plaisir aux humains, c'était une partie de sa vie et de son caractère qu'on n'arrivera jamais à lui enlever.
