▬ Horizons ; Libre

Ce matin-là, Ruffian D'En Cazettes sentit qu'il se tramait quelque chose d'inhabituel. Vers 7h00, un immense camion blanc qu'il n'avait jamais vu se gara devant chez ses propriétaires. Curieux, le hongre sortit la tête de son box. Sa propriétaire, Johanna Masher, une dame brune qui avait environ soixante-dix ans et qui avait été plusieurs fois Championne de France de CSO dans sa jeunesse, s'approcha de lui et lui caressa le chanfrein avant de lui passer un licol bleu et beige qui portait une plaque de cuivre sur laquelle s'incrivait, en lettres d'or, le nom du hongre gris. Johanna emmena le pommelé dans un pré où elle le faisait habituellement monter par ses enfants et le fit marcher, trotter, galoper et même sauter en liberté sous l'oeil vigilant d'un jeune homme qui observait le gris avec un vif intérêt. Après cela, elle ramena le cheval jusqu'à la porte du pré et échangea avec l'homme une énergique poignée de main. Puis elle fit monter Ruffian dans le camion après un rapide pansage, lui offrit une carotte et lui donna une claque sur la croupe avant de redescendre du camion avec un sourire triste.
Ruffian se doutait un peu qu'il ne la reverrait jamais. Ça lui faisait de la peine, mais il était habitué à changer de propriétaire et de cavalier régulièrement. Après environ une heure de route, le pont s'abaissa de nouveau. Le hennissement du gris se répercuta en echo alors qu'il descendait du camion, fier, la tête haute. Sa nouvelle maison ... L'homme qui le tenait claqua de la langue et Ruffian le suivit jusqu'au milieu de la cour. Il aperçut une silhouette et s'immobilisa un instant en ronflant des naseaux, curieux.

La silhouette en question était celle d'une jeune femme brune à l'air sympathique. Ruffian, pas du tout intimidé, s'avança vers elle et souffla dans sa paume ouverte avant de pointer les oreilles vers elle et de ronfler des naseaux. Puis il recula d'un pas et détailla l'inconnue de son magnifique regard d'ébène en frappant le sol de son antérieur droit. L'homme qui le tenait donna un coup sec sur la longe, qui eut l'effet de faire relever brusquement la tête à Ruffian, mais ce fut tout. Heureusement pour lui, le hongre n'était pas du genre embêtant, et il prenait pas mal sur lui quand ses cavaliers faisaient des erreurs à pied. « Bonjour. » se contenta de dire l'homme d'une voix lasse. Il avait reçu l'ordre de laisser le cheval entre de bonnes mains, ainsi fut-il soulagé quand la femme lui dit qu'elle faisait partie du personnel. Il lui adressa alors un sourire forcé ; la route avait été mauvaise, à cause du brouillard matinal, ce qui l'avait mis de très mauvaise humeur : déjà qu'il n'avait pas très bon caractère en général ... Il lui tendit la longe avec un bref hochement de tête en guise de remerciement. En fait, l'homme en question n'était en réalité que le fils de la propriétaire de Ruffian et, pour l'avoir monté assez souvent, il était certain qu'il allait lui manquer. C'était en réalité une des raisons expliquant son comportement. Il tendit la longe à la jeune inconnue, sans la regarder pour qu'elle ne voie pas les larmes qui perlaient dans ses prunelles. Il n'aimait pas montrer ses faiblesses. « Ciao, bonhomme. » fit-il doucement en se tournant vers le gris, qui souffla dans ses cheveux, un geste de tendresse qui lui était caractéristique. « Prenez soin de lui ... » souffla-t-il à la jeune femme avant de tourner les talons rapidement et de se diriger vers le camion. Ruffian ronfla des naseaux et leva la tête pour le suivre du regard. Il ronfla des naseaux et hennit. Ainsi, lui aussi devrait disparaître de sa vie ? Le hongre gris pommelé se tourna vers la jeune femme brune qui tenait désormais la longe et souffla doucement.

Keyla Sierra Jayde. L'homme l'avait reconnue. Il était assez souvent venu au Haras, pour diverses raisons, et n'avait pas manqué de la croiser à chaque fois. Il paraissait qu'elle avait un assez mauvais caractère. L'ancien propriétaire du hongre grimpa dans son camion et alluma le moteur. Il ouvrit la fenêtre et adressa, de la main, un signe à Sierra. Puis il appuya sur l'accélérateur et sortit du parking au pas, avant de partir à toute vitesse sur l'autoroute. Ruffian se tourna dans la direction où le camion avait disparu et poussa un long hennissement. Puis, sachant qu'il ne reviendrait pas, il baissa la tête, résigné. Puis il souffla à nouveau dans la main de l'humaine et la suivit. L'humaine lui laissa un peu de longe avant de lui indiquer qu'il fallait le suivre. Ruffian observait les alentours, oreilles pointées vers l'avant, trottinant doucement, au rythme des pas de Keyla. A un moment, un van se gara sur le parking du Haras et repartit en faisant crisser ses pneus. Le gris fit un écart et s'arrêta, sur le qui-vive, avant de baisser la tête et de rejoindre Keyla au petit trot.

Pareil, désolée ...
Mais chez moi ça donne vraiment trop court :/

Jetant un regard mauvais en arrière, Ruffian d'En Cazettes suivit Keyla, s'interrogeant à propos de l'énervement qui émanait d'elle. En était-il la cause ? Pour quelle raison ? Quand l'humaine l'attacha, il soupira, déçu. Déjà, elle le laissait ? Le hongre frappa le sol de l'antérieur pour manifester son désaccord, mais elle s'éloignait déjà. Keyla s'approcha du camion, nullement impressionnée par l'espèce de géant qui en sortait, et le réprimanda sévèrement. Ruffian ronfla des naseaux, amusé, quand elle revint vers lui. Celle-là, elle avait du caractère ! Le gris la suivit jusqu'à la carrière sans faire d'histoires ; puis elle alla jusqu'au milieu de l'espace sablonneux et le lâcha.
Ruffian regarda autour de lui, oreilles pointées vers l'avant, puis se mit à trottiner tranquillement, observant Sierra regagner la barrière. Quel bonheur de pouvoir enfin se détendre ! Soudain, le gris entendit un bruit étrange et se retourna d'un bond. Derrière lui, perché sur la barrière, une étrange bête le regardait en poussant d'étranges hennissements. N'ayant jamais vu de chat, le hongre se demandait bien ce que pouvait lui vouloir cette créature étrange ! Ainsi, quand l'animal bondit de la barrière où il était perché et se dirigea vers Ruffian, celui-ci pivota, les oreilles plaquées en arrière, et partit au galop. La fureur, mêlée à la peur, faisait frémir le gris quand il s'arrêta auprès de Keyla, épuisé, après avoir fait une dizaine de fois le tour du manège à fond de train, terrifié par l'être qui se tenait au milieu de la carrière, le regardant en poussant son étrange cri.

Ruffian souffla profondément en santant la main rassurante de l'humaine sur son encolure. En un remarquable cheval qu'il était, il faisait confiance à l'homme, et lui ferait confiance jusqu'au bout, même si ça devait aboutir à sa propre mort. Le gris fit un pas de côté quand elle s'écarta, puis la suivit vers cette chose qui poussait des cris étranges. Certes, c'était petit, mais ces griffes ... Et ces crocs ... Allait-il l'attaquer ? Mais non, la bestiole se laissa attraper par l'humaine qui l'emmena jusqu'à Ruffian. Il faisait confiance à l'homme, lui, pas aux bêtes ! Fallait pas trop lui en demander non plus. Il coucha les oreilles en arrière, fit un écart et s'en alla au galop en envoyant des ruades. Il se réfugia à l'autre bout de la carrière, les yeux flamboyants de haine envers l'humaine. Il allait pas se laisser donner en pâture aux fauves, non plus ! Il recula et jaugea la barrière. Haute, mais rien de bien impressionnant pour arrêter le gris. Il fit un tour de manège dans un galop tranquille, puis de dirigea vers la palissade, rassembla son galop et ... Pila net. Une autre des bestioles étaient perchée sur la clôture, et le fixait de ses yeux d'émeraude ! Le gris fit demi-tour aussi sec et s'arrêta au milieu de la carrière, déboussolé. Il poussa un hennissement de protestation envers le monde. C'était quoi, ce bazar ? Il était tombé où ?